Presse : des crtiques malvenues

Publié le par Jean-Claude Sensemat

La réponse de Ferit Hoxha, Ambassadeur de la République d'Albanie au Nouvel Observateur pour l'article paru dans le N° 2062 du 13 mai 2004.

Paris le 17 mai 2004

Monsieur le directeur,

Dans le dossier La stratégie de la torture, du numéro 2062 du Nouvel Observateur, consacré pour l'essentiel à la situation des détenus dans les prisons irakiennes, l'Albanie figure, à la page 64, dans la catégorie " des pays connus pour la pratique de la torture, où sont transférés certains suspects capturés par les américains ". Selon l'explication fournie en bas de l'image qui illustre le dossier en question, pour avancer ces faits l'auteur se référerait à des rapports " des organisations humanitaires lesquelles soupçonnent ces bases américaines d'abriter des centres de détention et de torture ". Or, aucune explication supplémentaire n'est fournie, ni de quelles organisations humanitaires il s'agit, ni de quand dateraient ces prétendus rapports. En outre, l'affirmation avancée par le journal concernant l'Albanie frise l'absurde en mettant sur le même pied un prétendu centre de détention en Albanie et celui de Guantanamo!

Il s'agit peut-être d'une erreur. Si tel était le cas, je vous serais reconnaissant d'apporter le démenti approprié dans votre prochain numéro. Si ce n'est pas le cas de figure, et que l'auteur maintenait ses affirmations, je vous prie de prendre note de l'explication ci dessous.

Monsieur Laurent JOFFRIN
Directeur de la Rédaction
Le Nouvel Observateur


Les affirmations liées à la torture imputées à l'Albanie sont très graves. Non seulement par les temps qui courent, face à la triste actualité des faits liés au traitement des prisonniers et des détenus dans la prison d'Abou Ghraib en Irak et le lien complètement factice de tout cela avec l'Albanie, mais tout simplement parce qu'il s'agit de la torture, un acte prohibé aussi bien par les conventions internationales auxquelles l'Albanie a adhéré que par la loi albanaise elle-même. Mais, les affirmations du journal sont d'autant plus graves qu'elles ne reposent sur aucun fait et ne correspondent à aucune vérité.

Il n'y a pas de base américaine en Albanie; il n'y en a jamais eue, à part un stationnement temporaire pendant quelques mois de soldats américains et de plusieurs autres nations dont la France, en 1999, lors de l'intervention de l'OTAN en Serbie. Il n'y a pas non plus de centre de détention contrôlé par ou étant au service des américains.

S'il est vrai que l'Albanie a largement pratiqué la torture, cela date, et se réfère au régime communiste pour autant sinistre qu'il était. Depuis 1990 l'Albanie est résolument engagée dans une marche ininterrompue de transformation totale et de consolidation de ses institutions démocratiques ce que l'auteur du dossier ne peut nullement ignorer. L'Albanie est depuis 1996 membre du Conseil de l'Europe et a adhéré en 1997 à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (y compris les deux protocoles additionnels) ainsi qu'à bien d'autres conventions, protocoles et instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Comme le souligne un rapport de Amnesty International de 2003
(AMNESTY INTERNATIONAL : FAITS ET CHIFFRES, 28 mai 2003)
, dont a peut-être été inspiré le journaliste, et que j'estime important de citer : " Des détenus auraient été torturés ou maltraités par des membres des forces de sécurité, de la police ou d'autres agents de l'État dans 106 pays et territoires : Afghanistan, Afrique du Sud, Albanie, Algérie, Allemagne, Angola, Arabie saoudite, Argentine, Arménie, Australie, Autorité palestinienne, Autriche, Azerbaïdjan, Bahamas, Bahreïn, Bangladesh, Belgique, Bélize, Biélorussie, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Burundi, Cambodge, Cameroun, Chili, Chine, Colombie, Corée du Nord, Corée du Sud, Égypte, Émirats arabes unis, Équateur, Érythrée, Espagne, États-Unis d'Amérique, Éthiopie, Fidji, France, Géorgie, Grèce, Guatémala, Guinée équatoriale, Guyana, Haïti, Hongrie, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Israël et Territoires occupés, Italie, Jamaïque, Japon, Jordanie, Kazakhstan, Kenya, Koweït, Laos, Liban, Libéria, Libye, Macédoine, Madagascar, Malaisie, Maroc et Sahara occidental, Maurice, Mauritanie, Mexique, Moldavie, Mozambique, Myanmar, Népal, Nigéria, Ouzbékistan, Pakistan, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paraguay, Pérou, Philippines, Portugal, Qatar, République centrafricaine, RDC, République dominicaine, Roumanie, Russie, Rwanda, Sainte-Lucie, Sri Lanka, Soudan, Suisse, Syrie, Tadjikistan, Tchad, Thaïlande, Togo, Trinité-et-Tobago, Tunisie, Turkménistan, Turquie, Ukraine, Vénézuéla, Yémen, Yougoslavie, Zimbabwe. ", il faut toujours être vigilent parce qu'on n'est jamais à l'abri des dérives de têtes brûlées ou du zèle excessif de la part de fonctionnaires médiocres. Mais ces cas isolés, tout regrettables qu'ils soient, ne peuvent et ne doivent, en aucune manière, aboutir à la conclusion de pratiques généralisées.
Vous comprendrez que au moins selon ce rapport la représentation que vous faites " de la carte du monde de la torture " n'est nullement exacte et ne justifie pas de mettre les projecteurs sur l'Albanie. Rien ne saurait excuser les abus, mais il est aussi important de souligner que chaque allégation a régulièrement fait objet d'enquêtes appropriées et a été suivie des mesures qui s'imposaient.
Aussi, il me semble qu'avant d'inclure l'Albanie dans ce triste palmarès de la torture dans le monde, aurait-il été non seulement préférable et souhaitable mais indispensable que l'auteur prenne la précaution de vérifier les faits tout en donnant plus d'explications et de précisions. Parce que, vous en conviendrez, c'est très grave de simplement servir à plusieurs centaines de milliers de vos lecteurs, dont j'en suis un fidèle, une telle affirmation dont l'effet, ne fut-ce qu'en termes d'image, est désastreux. Devrais-je aussi ajouter que depuis plus d'un an l'Albanie négocie de manière très serrée un accord de Stabilisation et d'Association avec l'Union européenne, justement pour renouer avec l'Europe unie et ses valeurs qu'elle partage entièrement. Et la torture n'y figure nulle part dans le cahier des charges.

En raison de l'importance de cette question, je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire état de la présente dans vote prochaine publication.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le directeur, l'expression de ma haute considération.


Ferit Hoxha

Publié dans consulalbanie

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